Trop
sensible, trop intelligente. Voilà ce qu’elle m’a dit lorsque je l’ai
rencontrée pour la première fois, il y a trois ans.
Je ne
comprenais pas le sens de ces mots, ces étiquettes qu’elle apposait sur les
personnes souffrant de troubles alimentaires.
Je ne
saisissais pas toute la portée symbolique et tout le cheminement qui allait en
découler, m’embarquant pour des mois et des mois, assise sur ce gros fauteuil
de cuir sombre, dans ce bureau aux odeurs de bois et vieux livres de
psychologie.
Aujourd’hui
je comprends enfin. Le puzzle s’assemble finalement, après avoir gratté les
contours de ma personnalité et de mes actes, après avoir pleurniché mes
souvenirs d’enfance, sans importance souvent.
Finalement
pour si peu. La forêt qui cachait … une souris.
Les
troubles alimentaires sont multiples. Ils prennent des formes tellement
différentes. Prennent des apparences variées.
Maigreur,
hyperactivité, compulsions alimentaires, boulimies, prise de médicaments,
obsession du poids, du corps.
Ce corps
qui devient le temple d’un symptôme tout entier, d’une souffrance masquée.
« Butées,
bornées. Vous êtes soit trop maigres, soit des gros lards. Vous pensez en
mode YA QU’A FAUT QU’ON ».
« Comme
si FAIRE rendait invincible. Comme si FAIRE et ne jamais cesser de lutter
empêchait de mourir ».
« Mais
la vie c’est ÊTRE. Et accepter que la mort existe. Et que ne rien FAIRE, c’est
le moyen de récupérer l’énergie pour pouvoir agir, et devenir qui l’on EST ».
C’est
Socrate, qui le disait si bien. Deviens qui tu es.
Les
troubles alimentaires viennent poser un masque sur une dépression enfouie,
enfantine. Cacher une douleur refoulée, un évènement oublié, qui a changé le
cours de notre façon de penser des années durant, sans même que nous le
réalisions vraiment. Nous empêchant de nous réaliser.
Alors,
notre enfant blessé par quelque chose, de parfois insignifiant, s’est mis à prendre
une position qui lui fera défaut.
Cette
dépression, enterrée au fond de nous, est peu à peu recouverte par le
millefeuille de la vie. Nous devenons une carapace épaisse, où les couches
successives des souvenirs, des expériences, des mots tus, et des silences criés
s’amoncèlent sur cette peur initiale.
Nous ne
sommes pas des corps maigres.
Nous sommes juste des âmes en souffrance, qui se
sont égarées, et cherchons qui nous sommes.
Une crise de l’adolescence en
somme.
Bloquées à un stade entre l’enfance et l’âge adulte, incapables de gérer
ce trop plein d’émotions que nous risquons de vivre si nous ôtons le symptôme.
Hypersensibles.
Tout sentir, tout mesurer, anticiper les regards, et les mots. Omniscience des
émotions. Ressentir la haine, la colère, la tristesse, la joie, le bonheur, le
plaisir de manière démesurée. Cela fait peur, pour quelqu’un qui ne sait pas
gérer. Qui est resté coincé.
Alors on s’anesthésie,
on ne sent plus, coupées.
Et lorsque
vient la guérison, et que les feuillets des couches successives sont retirés,
un à un, les émotions arrivent, par vagues, par torrents puissants.
Quand enfin le mot est dit, le souvenir remonte, que l'interprétation est claire, que tout prend sens ...
C’est
alors que l’apprentissage redémarre.
Comment faire de cette intelligence du cœur
une force et une alliée ? Comment faire de cette sensibilité un atout ?
Que faire de sa vie pour être épanouies ? Libres ? Et comment
délester nos peurs de l’enfance, qui nous ont emprisonnées dans une tour d’ivoire
trop haute ?
C’est ici
que démarre le jeu.
Le jeu de
la vie sans lutte et sans maîtrise, sans peurs et sans soucis du demain. Seul
se préoccuper de l’instant, et d’être bien ancrée dans le sol, prête à
ressentir, crier, pleurer, sourire, aimer, serrer, s’enivrer, sentir, croquer,
danser…
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