samedi 28 mai 2016

Société, culpabilisation et fragilité


Je me sens prisonnière. Pas libre. Enfermée par cette société qui nous assène de faire toujours mieux
pour se rendre meilleurs.

Au fond, chaque être humain vit avec ce besoin vital d’être aimé et reconnu. D’abord par sa mère, son père. Les mains douces qui câlinent, les mots doux qui rassurent. Puis le cercle proche des enfants de l’école, de la maîtresse qui enseigne. Puis des amis qui grandissent, des regards qui changent. La télé, les journaux, la mode, les films, les paroles des chansons. Les codes sociaux. Les bonjours hypocrites et les regards baissés de honte.

Je démarre cet article de façon hasardeuse. Je ne sais pas où il m’amènera, je sais juste qu’aujourd’hui, samedi 28 mai 2016, alors plusieurs personnes « soignantes » m’ont dit cette semaine de me lâcher, je me lâche. J'en ai pleuré d'épuisement lors d'une séance de kiné, laissant inonder mes joues de larmes salées.

Trop de tensions accumulées, trop de non-dits. Je prends sur moi sans même m’en rendre compte. J’ai
l’impression de faire preuve d’indépendance dans mes choix, mais je réalise que cette société me malmène, me perturbe, et pire, me plie à sa volonté.

Je suis prisonnière de ces injonctions permanentes. De ces dictats concernant l’alimentation, concernant la forme du corps, concernant la quantité de choses accomplies chaque jour.

Je suis énervée de voir cette collègue refuser des biscuits, se ruer sur la bouteille d’eau lorsqu’elle a
faim, et encourager les autres à manger.

Je suis énervée que la société nous fasse croire qu’il faut mériter de manger, mériter de se faire plaisir, mériter de VIVRE.

Je déteste cette image galvaudée de ce que doit être une femme. De cette intransigeance envers soi,
son corps. Sa manière de parler, sa façon de s’habiller.

Je rage contre moi-même, d’être malgré tous mes efforts pour lâcher-prise, malgré toutes mes tentatives de lutte contre ces « il faut », influencée.

Cette culpabilité qui te ronge, qui rampe sournoisement quand tu te compares à cette femme, à cette
assiette, à cette force, à cette vie.

Cette fragilité constante, cette sensation étouffante de ne pas être toujours maitre de mes choix, domptée par les dictats et les « on dit. »

Cette société schizophrène, qui te dit de manger plus bio, plus local. Qui t’assène à coup de jus et de
détox. Qui dit tout et son contraire. Ne manges pas de gluten, ni les fruits crus, mange les cuits (mais pas trop pour les vitamines !). Ne te ressers pas, mais apprends à te faire plaisir, c'est chiant les coincées, mais bon, faut savoir ce qu'on veut, il le faut être belle. Mais oui, mais c'est dans la tête, alors ... Mais bon fais du sport, quand même.

Je déteste ces réseaux sociaux qui malgré toutes les bonnes volontés, reste un lieu de tous les extrêmes, de toutes les exubérances.

Ces corps étalés à la vue de tous. Ces assiettes « propres » applaudies par de pauvres moutons suiveurs, admiratifs devant tant de conformité. Ces repas de tous les excès, de toutes les sauces les
plus abondantes. Cette culpabilisation étalée. « Ne faites pas ci, ne faîtes pas cela. ». Ces personnes qui sont dans leur monde, parfois cloisonnées dans des systèmes de remplissages du vide permanent, d’excès en tout.

Je rage de cette partie de moi qui y est sensible.

Touchée. Atteinte. Seule.

Je n’ai personne pour me serrer dans ses bras. Et me dire que je mérite de vivre. Que cette personne
tient à moi. Que je suis quelqu’un dans la vie de quelqu’un. Que je suis une entité qui a de l’intérêt pour une personne. Que quelqu’un pense à moi.

J’ai dérivé ? Peut-être. Mais voilà, je me sens vide. Alors malgré toutes mes tentatives d’indépendance face à cette société, je reste perméable.

J'aimerai pouvoir me sentir libre. Et être serrée dans des bras, aussi. 




2 commentaires:

  1. Je suis très touchée par ton texte.
    Je partage tellement ton sentiment de schizophrénie à cause de cette société du toujours plus, toujours mieux. Soyez efficace, soyez beaux, soyez forts! Et surtout ne montrez pas vos faiblesses, votre solitude...
    J'ai beau en avoir conscience, je me laisse happer et sans m'en rendre compte je suis soumise à ces pressions et je m'y réfère... Alors que je serai certainement aussi beaucoup plus heureuse et libre surtout de ne faire que ce qu'on pense être bon pour nous et qui nous fait du bien. Je devrais plutôt dire, d'ailleurs, ce qui est bon pour moi et ce qui me fait du bien.

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  2. Marie, j'ai regardé tes douces photos et lu leur légendes via le désormais célèbre réseau Instagram ( par le biais du compte d'Appoline dont j'ai découvert le blog, tout comme le tien que je parcours actuellement). Tes mots ont un écho très important et font sens pour moi. Je me retrouve dans beaucoup de lignes, d'idées, de pensées. Les peurs, angoisses, les phénomènes "d'éponge", notre rapport au monde et notre ancrage en nous-mêmes. Sans oublier les petits plaisirs culinaires qui donnent un tas d'idées pour s'imprégner des bols, couleurs et autres ustensiles.
    Continue à écrire.

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