dimanche 10 janvier 2016

Les corps agités : sous-alimentation et hyperactivité

Je me suis souvent retrouvée confrontée à cette sensation étrange, puissante, dévorante de l'intérieur.

Une agitation féroce venant de toutes parts, des profondeurs du ventre, des muscles des jambes, des idées en pagaille. Une sorte d'anxiété généralisée.

Un corps mal alimenté depuis plusieurs mois, voire années.

Un corps malmené. En aménorrhée depuis tellement longtemps. Une peau sèche, desquamée. Des cheveux cassants, des ongles striés. Un teint pâle.

Et pourtant. Toujours cette agitation qui rend capable, on ne sait comment, de réaliser des tâches quotidiennes avec une facilité surprenante. Hyperactivité.







Une personne normale se sentirait épuisée. Une personne normale dormirait des heures. Incapable de marcher longtemps, d'aller faire un cours de sport, et d'enchaîner sur un travail mental.

Et pourtant. Cette chose mystérieuse qui te pousse à te dépenser, comme un besoin impérieux. Ce n'est pas tant la perte énergétique ou le renforcement musculaire qui importent (de toute façon, à quoi bon muscler une masse qui a fondu, hum ?).

Non, c'est une espèce de drogue. Une drogue très addictive et réalisée de manière compulsive.

Certaines anorexiques se mettront à courir ou marcher des heures. Ne sentant pas la fatigue du corps.
D'autres enchaineront les sauts et exercices d'abdominaux dans leur chambre. Le matin tôt à jeun. Le soir tard.

D'autres, à un poids moins "inquiétant" malgré la sous-alimentation, auront accès à une salle de sport, et passeront du temps sur les machines, en alternant avec les cours de cardio et de renforcement.  Persuadées de faire cela pour "se faire du bien", pour "améliorer l'humeur". Car oui, les effets sont immédiats. Un vrai shoot de bien-être. Pur et rapide.

Pourquoi ? Pourquoi ça ? Alors même que certaines veulent arrêter, et finissent pas sentir leurs articulations craquer, les muscles endoloris, les cervicales fatiguées ? Que certaines vont jusqu'aux blessures, faisant la sourde oreille aux tendinites répétées et fractures de fatigue ?

Comment est-ce possible de réaliser finalement son état, de savoir pertinemment la folie de ces actes, et pourtant de continuer ?

Et bien figurez-vous que c'est biologique.

Une expérience scientifique a été réalisée sur des rats de laboratoire. Ils étaient sous-alimentés sur une période donnée, avec des apports nutritionnels inférieurs à leurs besoins.

Dans leur cage, il y avait une roue. Plus les rats étaient dénutris et perdaient du poids, plus ils passaient du temps à courir et se dépenser dans la roue.
Pire, lorsqu'on leur proposa de la nourriture, les rats continuèrent de préférer la roue. Jusqu'à mourir d'épuisement.

Voici la description du phénomène en question : conséquences métaboliques de l'anorexie mentale

"L'hyperactivité physique est fréquente en cas de TCA, et plus particulièrement en cas d’anorexie mentale. Elle touche de l’ordre de 35 à 85 % des malades [...] anorexie et hyperactivité s’entretiennent l’une l’autre."
"Il existe un modèle animal tout à fait passionnant dans ce domaine, celui du rat jeûnant hyperactif [...] Le 1er groupe contrôle est constitué de rats mangeant normalement et mis dans des cages individuelles standards (où l’activité est limitée). Les rats du 2ème groupe reçoivent les mêmes apports (20-21 g/j) mais peuvent, s’ils le souhaitent, aller dans une partie de la cage où on a logé une grande roue : si les rats s’y engagent, la roue tourne, mais ils peuvent quitter la roue quand ils le veulent. Le 3ème groupe est mis sous régime hypocalorique ( -25 % ses apports antérieurs) ; leurs cages sont standards. Le 4ème groupe est le groupe expérimental : les rats sont soumis au régime hypocalorique 75 % (15-16 g de croquettes) et ont accès à la roue. Ils peuvent ne pas y aller et en sortir dès qu’ils le souhaitent. Qu’observe-t-on ? Les rats non restreints qui ont accès à la roue y vont surtout les 2-4 premiers jours, puis de moins en moins. Les rats sous régime restrictif en cage normale ne développent pas d’hyperactivité physique. Les rats restreints qui ont accès à la roue y vont de plus en plus au fil des jours ; pire, ils diminuent leur prise alimentaire déjà restreinte. Ils maigrissent donc nettement plus que les autres rats.

Une autre étude, récente, va dans le même sens : des rats mâles ou femelles sont mis au régime hypocalorique ; les femelles perdent leurs cycles menstruels, acquièrent un profil hormonal « masculin », et maigrissent plus vite, sont plus stressées et plus actives physiquement que les mâles ! Donc on trouve chez le rat la prédisposition féminine de l’anorexie mentale, sans avoir besoin de recourir à des mécanismes psychologiques"


Il semblerait que les taux plus concentrés d'adrénaline et la sensibilité accrue à la sérotonine soient en cause.

De plus, imaginez un corps affaibli par la dénutrition. Ce qu'il souhaite, c'est retrouver un équilibre et donc une santé optimale.
Pour ce faire, il lui faut aller chercher de la nourriture, d'où la production massive d'adrénaline, poussant à se "dépenser", s'activer, pour aller chercher de quoi alimenter le corps (aller courir après des animaux sauvages et grimper aux arbres cueillir des fruits ! Ou presque !)

Enfin, la chute de la leptine (hormone de la satiété) dans l'anorexie est corrélée à une hausse de l'activité physique.

Donc seul le retour à un poids normal (le poids de forme et non "minimal") avec un fonctionnement hormonal équilibré permet de "rassurer" le corps, et de stopper cette hyperactivité.

Mais malgré l'augmentation du poids, si l'hyperactivité est maintenue, alors les pics de cortisol, engendrant un stress sur le corps, auront pour effet de maintenir le corps dans l'état d'hyper vigilance et d'anxiété ...


Le problème ? C'est que cette drogue dont on finit par avoir conscience est particulièrement difficile à arrêter.

Encore une fois, aucun médicament ou conseil ne peut inverser cette tendance tant que l'on a pas la volonté de "lâcher" cette addiction destructrice.

Le corps se défend, il veut se défouler. Mais non.

La seule chose à faire : respirer, s'assoir, se poser et se distraire. Un film, un coloriage, du dessin, la musique.

Détourner l'attention. Être créatif. Être émotions.

Se répéter mentalement et inlassablement que le corps est trompé par sa propre dénutrition. Que tout le système est en panique, désorienté. Et que seule la volonté consciente de changer les choses et faire l'inverse de ce que cette pathologie pousse à faire permet de récupérer et soigner à la fois le mental et le corps.

L'effort surhumain que cela demande en permanence peut être surprenant pour quelqu'un qui ne vit pas cela.

Mais la récompense à venir est si précieuse qu'elle en vaut la peine : le lâcher-prise, le bien-être à long terme, et la récupération physique et mentale. Le retour des idées claires, limpides et positives.

Tout est possible, mais il faut le vouloir et avoir le courage de changer les choses que l'on peut changer.

Question ouverte aux avis et pour l'instant sans réponse, peut-être en aurez vous une : 

Quid de cette mode toujours plus effrayante des comptes "fit" "fitness" "healthy" sur réseaux sociaux? (Je pense à instagram)

Comme par hasard, des heures passées à faire du sport, parler sport, prendre des photos d'assiettes "saines" (protéines machins choses), parler de "cheat-meal" à la place de moments entre amis.

Et comme par hasard, des apports caloriques trop souvent insuffisants, et des corps stressés en permanence, cortisol à gogo, et donc stockage du corps immédiat au cas où ... Car oui, le corps sait et se souvient que demain matin, ce sera encore la même chanson, running / renforcement / stress physique ...

A bon entendeur ... 





2 commentaires:

  1. Merci pour cet article, qui ouvre les yeux mais qui est difficile d’accepter quand l'on est pris dans cet engrenage.

    Le mental est très fort et prend le dessus malgré les situations extrêmes. Courir pendant des heures il y a 5 ans je ne pouvais à peine courir maintenant j'ai la force de tenir 2h sur un tapis de course malgré mon poids de plume. La biologie est vraiment un monde étrange ...

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    1. Seule la volonté peut inverser la tendance, et c'est possible ! :)

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