jeudi 5 mai 2016

Je prends de la place. Trop de place.

C'est bizarre. Le fait de ne plus arriver à discerner son enveloppe corporelle correctement, objectivement.

Le fait de mélanger ses ressentis physiques avec les aléas de l'humeur et du moral.

Depuis que j'ai commencé à travailler, entourée par beaucoup de personnes différentes, cohabitant plusieurs heures par jour au sein du même open-space, j'ai à nouveau ces voix désagréables et négatives.

Je deviens souvent spectatrice des échanges, observant avec prudence chaque mot, chaque geste. Anticipant à l'avance les réactions à mes phrases, espérant sans cesse ne pas décevoir, d'être appréciée.



Et étrangement, depuis que je suis au sein de cet écosystème rempli d'humains avec chacun son histoire, je me mets à me sentir énorme.

Je laisse délibérément ce mot. Énorme. Prenant trop de place. Ce corps qui déborde.

Alors. Alors c'est quoi ça ? Pourquoi est-ce que lorsque je me mets à prendre de la place en tant que personne, en tant que Marie, je ressens soudain ce besoin impérieux de ... disparaître ?

Comme si exister aux yeux des autres était particulièrement difficile, au point de ressentir le besoin de remettre ma carapace.

Au point de me remettre à "contrôler". "Observer". "Anticiper".

Je sais que j'ai encore du travail.

Non, mon corps ne reflète pas mon identité.

Non, je ne suis pas un tour de hanches. Ni un chiffre. Mes qualités ne se mesurent pas à mon volume corporel.

Disparaître physiquement ne fait qu'accentuer la différence.

Alors de quoi ai-je peur ? D'être normale ? D'être heureuse ?

Pourquoi toujours ce besoin de me punir et d'expier des fautes inconnues, inventées ?

Comme si le corps devait payer. Devait se faire maigre. Prendre moins de place. Toujours moins.

C'est dur d'être adulte.

Que c'est dur d'accepter de ne pas se faire du mal. Et se mettre à vivre sans avoir besoin d'un justificatif. Ni d'un succès exemplaire.

Et si il/elle me trouve stupide ? Et si je ne leur plaîs pas ? Et si ils pensent que je vais mal ?

Il y a peu, je chouinais devant mon psy que j'en avais marre d'aller mal et que j'enviais "tout le monde" de se contenter de vivre, sans se demander si il/elle pouvait, comment et à quoi bon.

"Peut-être qu'il serait temps d'arrêter de vous punir".

Il est impossible de se "complaire" dans ce genre de situation. Mais c'est à croire que je ne sais pas faire autrement que me sentir COUPABLE.

Alors que je suis la seule à avoir la clé pour sortir de ma cage. Et m'envoler.

A croire que j'ai finis par me terrer dans ma cellule, avec la frousse de découvrir ce que cela fait, d'aller bien.

On sait jamais, ça pourrait être dangereux, d'aller bien.

En attendant de régler ce qu'il reste à régler, j'ai décidé de ne plus me plaindre de ce que je ne parviens par encore à faire. Et d'être heureuse de ce que j'ai déjà.

Il y a six mois, je priais pour me réveiller le lendemain matin, pour que mon corps ne décide pas de passer de l'autre côté. 

Il y a trois mois, j'étais encore à la clinique, suivant les cours à distance. Alternant entre les prises de médicaments, les rendez-vous psy, et les ateliers d'art-thérapie.

Aujourd'hui je suis en stage de fin d'étude dans une grosse entreprise, à Paris, et je fais 35 heures par semaine. Je gère les courses, le ménage, les candidatures à venir, le loyer et tout le reste. Je souris, je vois des amis et je coure.

Aujourd'hui il fait beau, et c'est déjà très bien comme cela. 





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