Ces
réflexes que j’avais oublié. Ces sourires, ces gestes automatiques, que j’avais
perdu l’habitude de faire.
Éteindre le réveil, sauter dans la douche, la machine cérébrale en route depuis déjà
plusieurs heures, me réveillant au milieu des rêves.
Le petit
déjeuner ne vient plus dans ta chambre, sourire au lèvre, plateau à la main.
Tu dois
faire toi-même le pas de te faire du bien, d’avancer, de prendre ta place.
Se saisir
de la purée d’amandes, couper le pain, sentir le café qui fume.
Après les
exercices sur le tapis, vient la nourriture du corps. Nécessaire à la vie.
Protéines,
lipides, glucides. De la gourmandise et du plaisir.
Tellement
facile, tellement aisé. Tellement plaisant de se sentir en capacité de
réfléchir. Et pourtant, encore si apeurée à l’idée de prendre de la place.
Encore
discrète mais plus à l’aise qu’avant. La bise du matin, prendre des nouvelles,
sourire à la blague, lever les yeux vers le ciel et sentir la pluie mouiller
mes bottes et imprégner mes chaussettes.
Ces petits
rien que j’avais oublié de faire. J’étais dans une bulle, isolée, seule avec
moi et mon narcissisme maladif. Seule à part, dans ce monde dangereux, cette
bulle destructrice de l’anorexie.
Passe-moi
la carafe, tous au self. Pas de médicaments, plus de blouses blanches, pas de
regards vides et embués.
Ici on parle de la soirée passée, des stages qui approchent. Du film qu’elle a vu. Du week-end qui arrive.
Ici on parle de la soirée passée, des stages qui approchent. Du film qu’elle a vu. Du week-end qui arrive.
Les
sourires, le bâillement de fin de matinée, les claviers qui tapent. Pause. On
prend un café, je t’avances la monnaie, naturel. Tu veux un M&M’s ? Bec
sucré, tu demandes un cappuccino, prêtes-moi ta clé USB, je t’envoie les cours.
Je pense moins à interpréter à l’avance les mots et deviner les pensées. Même si mon
hypersensibilité s’active si vite, j’arrive à mieux lâcher du lest. Laisser les
choses venir, sans les prédire, sans chercher à maîtriser.
L’impression
que je suis une vraie guerrière, et en même temps, réaliser que j’ai mis tant
de temps à comprendre le mode d’emploi.
Je sais
sentir ce que les gens ne perçoivent pas, mais je suis incapable de monter le
petit jouet plastique des œufs Kinder, que n'importe qui arrive à faire les yeux fermés.
Je suis
sortie il y a une semaine et demie d’un espace confiné, une nurserie où l’on réapprend à
se laisser porter par la vie. Où le cadre permet d’envisager les aléas à taille
miniature, pour apprendre à ÊTRE, pour ensuite appliquer dehors, à l’extérieur.
Pourtant,
il y aura des soirs sombres. Il y aura des nuits courtes, agitées.
L’angoisse
de prendre physiquement de la place.
L’angoisse
de ce corps que l’on ne voit pas tel qu’il est réellement.
L’angoisse
de la chair qui s’étale sur mes os.
La fausse
impression de gonfler, prête à être farcie et servie, comme la dinde de noël.
Merry christmas.
Malgré les
claques, retendre la joue.
Malgré la
peur, mettre un pansement et se relever.
Et garder
à l’esprit que la bataille que je mène est un combat de chaque instant, qui ne
s’arrêtera pas.
Que chaque
coin de rue est susceptible d’apporter son lot de surprises et d’imprévus, et
que ce n’est pas une raison pour se recouvrir d’un symptôme comme si cela
protégeait. Comme si contrôler la nourriture permettait de maîtriser sa vie,
d’avoir « le contrôle ».
Se
souvenir que les interprétations sont en décalage par la réalité. Savoir
pertinemment que ma santé n’est pas encore optimale. Et réaliser que mon corps peine à suivre.
Et
pourtant, malheureusement, cette désagréable satisfaction de voir que le poids
a un peu baissé. Même d’un poil. Même si infime. Mais l’aiguille ne ment pas.
Signal
d’alarme, l’aiguille est un baromètre.
L’aiguille
qui tangue dit que j’ai trop gambadé, trop pensé, et ne me suis pas assez
posée.
Et cette
saleté de pensée, vicieuse, qui chuchote et rassure. Perverse. Difficile à
repérer.
Mais
voilà, dix jours après, premier bilan : je suis fière d’avoir relevé la
tête devant chaque difficulté et d’avoir appréhendé la rentrée de façon
sereine. Les journées semblent être des semaines, et je suis épuisée, déjà.
Mais fière d’avoir plutôt bien mangé et plutôt bien dormi.
Mais fière d’avoir plutôt bien mangé et plutôt bien dormi.
D’avoir
souri. D’avoir partagé de bons moment. D’avoir eu de l’énergie pour suivre des
cours passionnants.
D’avoir
osé dire le mot « anorexie » à mes camarades.
D’avoir
osé dire « j’ai besoin d’aide ». D'avoir rencontré une nutritionniste. De continuer le suivi psy.
Maintenant,
je suis à un virage. A la veille d’un long stage de 6 mois.
A un tournant, pour
savoir si j’oserai encore prendre du poids.
Poids de
vie. Poids de chair. Poids de sentiments.
Quitter la
transparence. Faire bouger l'aiguille de la balance.
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